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Loi de bioéthique 2020 : la création d’animaux chimères va-t-elle devenir possible en France ?

Le projet de révision de la loi de bioéthique a été discuté en première lecture au Parlement entre septembre 2019 et février 2020. Le texte aborde de nombreux sujets : l’extension de la procréation médicalement assistée, le don d’organes, l’utilisation des données génétiques, la recherche sur l’embryon humain… et parmi ceux-ci est évoquée la constitution d’embryons chimériques hommes/animaux.

Cette question, bien que technique, a soulevé des heures de discussion au Sénat lors des débats sur ce projet de loi. 

Le projet de loi initial (dans son article 17) supprimait l’interdiction de créer un embryon chimérique (article L. 2151-2 du code de santé publique) pour n’interdire que l’adjonction à un embryon humain de cellules provenant d’autres espèces. Sans le dire explicitement, il rendait donc possible l’adjonction de cellules humaines dans un embryon animal. Ce sont les embryons chimères. 

Pourquoi donc des animaux chimères ?

L’un des objectifs avancés par les partisans de la constitution de tels êtres vivants au statut ambigu est d’explorer la possibilité d’obtenir des organes humains à partir de cellules souches pluripotentes humaines se développant chez l’animal qui en serait le support, principalement à des fins de xénotransplantation. Cette piste de recherche est pourtant fort aléatoire et les nombreux obstacles qui ne manqueront pas de se poser ne sont jamais évoqués par les chercheurs qui affirment que la réussite est au bout du chemin. Les promesses n’engagent que ceux qui veulent y croire.

Des risques non identifiés ou mal maitrisés…

Sur le plan sanitaire, à l’heure où le coronavirus fait le tour de la planète à partir d’un réservoir animal mal identifié, on peut s’interroger sur l’opportunité de mélanger des cellules humaines et animales de façon mal maîtrisée. Ces cellules contiennent une multitude de génomes viraux inconnus avec lesquels les espèces ont appris à coévoluer. Mais si l’un d’eux se « réveille », il n’aura même plus de barrière des espèces à franchir puisqu’il sera déjà dans le corps du receveur humain de l’organe.

Sur le plan éthique, tout ceci donne l’impression d’une course en avant vers toujours davantage de manipulations des génomes et des embryons, dans une logique de toute puissance, de soumission du vivant à nos moindres caprices, sans réflexion de fond sur les implications éthiques ni même parfois sur les objectifs poursuivis. Comment se positionner par exemple face aux expérimentations touchant le système nerveux ? Faudra-t-il déterminer quelles caractéristiques humaines la société accepterait de transférer à l’animal et quelles caractéristiques seraient interdites ? Notre société consumériste perd de vue que des limites existent, doivent être posées, et que certains choix en faveur d’hypothétiques bénéfices individuels ne doivent pas conduire à prendre des risques collectifs démesurés. 

 

Bio-impression et organes artificiels

Des alternatives seraient-elles envisageables pour pallier le manque d’organes destinés aux transplantations ? La réponse est affirmative. Certains chercheurs se sont lancés dans d’autres directions pour produire des tissus et des organes possiblement transplantables à l’être humain. Les avancées rapides et prometteuses dans le domaine de la bio-impression ou des organes artificiels pourraient bien aboutir à de possibles transplantations avant que l’on ait pu greffer sans risque le moindre tissu ou organe développé dans le corps d’un animal « chimère ». 

La nécessité de fixer des limites éthiques à la recherche

Faut-il toujours répondre positivement aux sollicitations et aux volontés de quelques laboratoires au seul motif que la technologie permet de nouvelles manipulations du vivant présentées comme sources indiscutables de progrès à venir ? D’aucuns craignent que la France prenne du « retard » dans ces domaines en réglementant trop strictement ces expérimentations. Mais pourquoi d’autres axes de recherche - moins dangereux et plus éthiques - ne seraient-ils pas explorés et soutenus, qui permettraient justement à la France de prendre le leadership ? 

En outre, à l’heure où les questions de respect des animaux sont de plus en plus présentes dans la société, ce type de procédure les instrumentalise totalement. Ils sont réduits à n’être que les « supports » d’organes à transplanter chez des humains, avant leur mise à mort. L’animal n’est alors plus qu’un outil au service de l’humain (enfin de certains humains). Cela représente ce qu’on peut imaginer de pire en termes d’exploitation et de réification de l’animal. Sans oublier les centaines de milliers d’animaux qui vont être « utilisés » pour tenter de mettre au point la technique. L’animal non humain, dont la loi a pourtant reconnu le caractère d’être sensible, ne saurait être ainsi réduit à l’état de simple matériel. 

L’acceptabilité par la société de l’éthiquement inacceptable est directement liée à ce qui, par bien des aspects, s’apparente à un  « chantage émotionnel » de devoir choisir entre la vie de notre chien ou celle de notre enfant ! Fausse alternative car non seulement la souffrance et la mort de ce chien ne modifiera en rien l’état de santé de notre enfant…  mais ce « pseudo-choix » ne prend pas en compte le fait que l’intelligence humaine est capable d’envisager d’autres approches comme en attestent de nombreux projets de recherche novateurs. 

Les sénateurs, dans leur sagesse, ont supprimé l’article 17. Il serait tout aussi sage que les députés, lors de la seconde lecture, suivent la voie tracée par le Sénat et, si le sujet devait être débattu à nouveau dans les prochaines années, que ce soit au sein d’instances incluant des spécialistes de l’éthique animale.

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